En cette année 2009, on fête le retour de Marc Lavoine! 4 ans après « L’heure d’été » vendu à 600 000 exemplaires, 2 ans après les compilations « Les solos et les duos de Marc », l’artiste est donc de retour avec son nouvel album « Volume.10 ». C’est (déjà!) le 10ème album de sa carrière. Son album qui vient de sortir est rentré directement à la 1ère place des ventes d’album en France. Excellente performance pour Marc Lavoine. L’occasion d’une rencontre avec l’artiste pour en savoir plus sur les inspirations de ce nouvel album et sur la tournée qui est en grande préparation et qui va démarrer dès le début de l’année 2010.
Bonjour Marc.
Bonjour.
Cette pochette nous interpelle un peu. Je pensais à un film de Jacques Deray, du genre « La Piscine », avec Romy Schneider et Alain Delon. Ce n’est pas tout à fait ça mais c’est référencé dans le passé non ?
Oui. L’architecture de la maison date des années 70s, ça s’appelle Blue Jewel, c’est la maison de George Harrison. Je l’ai louée par hasard. Ils ne devaient pas me la louer, parce qu’elle devait être louée pour trois mois et moi je ne la voulais que pour un mois ou deux. On avait pris une autre maison, qui ne me plaisait pas du tout. Alors on est arrivé là, on a posé nos bagages, et c’était magnifique. Il y avait le clavier de Georges Harrisson dans la maison, qui est resté même lorsque la maison a été vendue. Le clavier dépend de la maison. J’ai joué dessus sur un des films de Mona Khun. Ça a conditionné beaucoup de choses pour moi. Je me suis allongé dans cette maison. Ça m’a permis de faire l’album dans des conditions merveilleuses, détendues et spirituelles. C’est une maison dans laquelle il y a beaucoup d’ondes douces, et feutrées, comme les pas d’un chat qui ronronne, vifs, rapides et en même temps très délicats. Ça m’a beaucoup plu. On a travaillé cet album d’une manière un peu passéiste. On l’a fait en vinyle, en analogique… Mais moi je ne crois pas que cela fasse partie du passé. Je pense qu’un arbre est moderne.
Qu’est-ce qui a été le point de départ ? Une chanson a déclenché tout ça ?
C’est la chanson sur mon père. Quand mon fils Roman est né, malheureusement, mon père est parti. Ça a été un choc. C’est comme si tu sortais d’un endroit, et tu ne sais plus où tu as garé ta voiture. Tu es perdu. Quand tu es perdu, tu rappelles un peu la famille. J’ai rappelé Fabrice Aboulker, qui avait écrit avec moi mes premières chansons des « Yeux révolver » à « Paris ». On ne s’était jamais quittés mais on n’avait plus fait de chansons. C’était important de repartir avec lui et c’est avec lui que j’ai redémarré l’album, avec la chanson « Reviens mon amour ». On a fait 25 chansons, je suis rentré, et j’ai appelé Christophe Cazenave, qui a écrit la musique de « Toi mon amour ». J’avais décidé de ne faire que les textes sur cet album. Ensuite j’ai rencontré Bertrand Burgalat, chez Jean-Charles Castelbajac, dans le Gers. Je vis dans le Gers. J’avais vu Bertrand parler de cinéma à la télé. Il avait cité tous mes films de référence, « Les fanfarons », « Rocco et ses frères »… Je l’avais trouvé très intelligent, très sensible, et très gentil. Je lui ai tout de suite demandé s’il voulait travailler avec moi. Il m’a dit oui. Ensuite, je suis allé voir mon parrain, Julien Clerc, pour savoir s’il avait envie, après 20 ans d’amitié, de faire une chanson avec moi. C’est comme ça que les choses se sont construites. En travaillant avec eux, j’ai compris qu’il y avait quelque chose de très artisanal dans notre façon de faire. Comme je faisais en même temps le film de Tony Gatlif, « Liberté », j’avais mis un terme à cette idée d’aller vite, il fallait aller profond. Avec Tony, c’était un film « colin maillard », sans scénario, il me disait toujours « je te le donnerai la semaine prochaine » et ça a duré un an. Je n’ai jamais eu de scénario. On a fait un film super, que je n’ai pas vu, mais le faire était extraordinaire, comme de travailler avec Marie Josée Croze et James Thiérée. Ça m’a donné une rigueur de travail, et le goût de « faire le chemin ». Le numérique nous a habitué à aller vite au résultat, on appuie sur le bouton et c’est bon. J’avais envie de faire ce marathon, du départ jusqu’à l’arrivée. Tony a changé un peu ma façon de voir les choses. Il faisait la musique en même temps que le film, ce qui est assez rare. Parfois on jouait des scènes musicales, avec une rythmique. J’ai vite appelé mes camarades, je leur ai dit que j’aimerais que l’on voyage pour faire ce disque. Ça fait 10 ans qu’on travaille ensemble, on a fait beaucoup de chansons à Paris. J’avais peur qu’on soit complexé, qu’on s’empêche des choses, qu’on soit trop vertical. J’avais envie d’allonger les choses, d’aller dans une ville plus longue, avec plus d’espace, des références plus hautes, plus larges que nous. J’avais envie qu’on travaille en analogique. Ils m’ont dit OK. On a racheté des instruments des années 70, tout un tas de claviers, et on a appelé trois musiciens, un Français, un Anglais et un Américain. Pete Thomas, le batteur de Costello avec qui François de la Bruyère avait l’habitude de travailler, Freddy Koella, le guitariste de Dylan et de Cabrel, et Davy, un bassiste. Puis on a ouvert l’atelier du travail. Avec la console de son et les musiciens, on s’est mis à répéter encore et encore, comme sur scène.
Les textes étaient déjà faits ?
Oui, ainsi que les musiques. Mais on n’écoutait pas les maquettes, on répétait, on cherchait la couleur de l’album. C’est en cherchant qu’on a fini par les enregistrer. C’était un travail non stop de respiration musicale. Je chantais en même temps, et on faisait une prise à chaque fois. Ça a été un grand plaisir que de retrouver ce travail là, qui est très rare maintenant en studio. Ça me plait de l’avoir fait comme ça.
On en est au volume 10. Qu’est-ce que tu retiens de ces 10 albums ? On a l’impression que tu es de plus en plus sensible, perméable. Ça veut dire que tu deviens de plus en plus précis dans ce que tu veux dire ?
Je pense que j’étais déjà comme ça. Mais l’expérience et la technique, à force de me mélanger aux talents des autres et d’écouter Françoise Hardy, de regarder Catherine Ringer, de téléphoner à Jean-Hugues Trintignant, de vivre avec eux, te donnent l’occasion d’être toi même, et d’avoir le courage d’être simplement qui tu es. Plus ça va, plus j’essaie de dire le moins possible, de faire les plus petites choses possibles. Comme disait Roda-Gil, « un tout petit maximum ». Essayer d’être le plus réuni. Ne pas faire un film, ou faire un disque car je ne suis pas une clé USB, mais être là matériellement. A l’époque où tout est virtuel, les gens et moi-même, qui suis le public, nous avons envie d’aller chercher un disque. J’ai envie d’être charmé, et non pas formaté. Il y a les maisons comme ça, les fromages, après il y aura la musique au kilomètre ! Non. Le film de Vincent Lindon n’est pas un film au kilomètre. C’est une
histoire qu’on raconte, des gens qui sont là. C’est l’avantage de cette bousculade, cette grande orgie d’images et de faux besoins, de choses superficielles, qui rend les choses possibles. Les salles sont pleines, les spectacles vivants marchent. Le superflu s’évapore. On va restituer des choses plus vraies. On a flirté avec des choses dangereuses économiquement, le cynisme est en train de disparaitre. Je l’espère !
Tu te verrais, un peu comme Radiohead a pu le faire, sortir tes disques uniquement sur internet, en téléchargement sur marclavoine.com ? Tu te verrais gérer ça de manière plus indépendante ?
Non. Je travaille avec le même producteur depuis 27 ans, c’est un producteur indépendant. Je connais l’indépendance. Barclay ou Alain Baschung, ce sont des gens qui ont grandi dans des maisons qui ont pris des risques. Quand on fait Alain Baschung, Rita Mitsouko, Etienne Daho, Eden… On sait qu’on s’attache à des choses qui ne sont pas faciles ; les mecs qui ont fait du Dutronc, Gainsbourg à l’époque, ou Polnareff, ils savaient que ça n’allait pas plaire à tout le monde ! C’est là où ça a été formidable. Je pensais bêtement que ma maison de disques allait être réticente à l’idée de partir de la forme vinyle, ne pas faire de bonus track, ou un disque de 20 titres, avec des maquettes pour mettre sur Internet, pour « donner à manger ». Je ne suis pas là pour donner à manger. Ce n’est pas ça mon métier. Ils ont été d’accord avec ça. La souffrance qu’on a eue avec la dématérialisation de l’artiste, qui devient une clé USB, a provoqué un manque de respect sur le travail accompli. Cette fabrication de vedettes, qui n’ont même pas écrit une chanson, c’est une skizophrénie qui rend le métier hémiplégique. Ça l’a paralysé. Quand on cherche une solution, on tape parfois un peu partout et pas tout à fait là où il faut. Il faut revenir à des choses simples. Ecrire, faire de la musique, l’enregistrer et la jouer sur scène. Déjà faisons ça comme il faut. C’est une promesse. C’est mon 10ème disque, les gens ont toujours été là, même avec la crise, ils ont acheté beaucoup de disques, surtout les derniers. La tentation est facile, la boutique est ouverte et n’importe qui prend ce qu’il veut. Non, je ne pense pas que les gens pensent comme ça. Moi je respecte l’artiste. Si je vais dans son atelier et que je vois une photo qui me plait, je l’achète.
Et la tournée ?
Je fais la Casino de Paris et une tournée en France. Je suis en train de dessiner mon spectacle.
Dessiner au sens propre du terme, physiquement ?
Oui, j’ai besoin de rêver mon spectacle avant de le jouer, comme je rêve mon disque avant de le faire. Quand je nage dans la piscine, je fais ma track list. Une longueur, une chanson. Je répète le nom de la chanson. C’est comme la méditation, tu prends une phrase, tu la répètes en boucle, et tu finis par oublier ton corps. Tous les polaroids que tu vois, ce sont des trucs que je dessine, que je travaille. Les trois qui sont là, je les ai faits pendant l’album. Il y en a d’autres dans le Gers. Je les travaille pendant que la musique tourne. J’ai besoin d’avoir un doigt dans l’atelier. Pour la pochette c’est la même chose. Avec Mona Khun, on n’a pas fait une photo. Elle a habité au studio ! Je l’ai rencontrée grâce à Benjamin Trigano, qui a fait avec Mama Shelter avec Starck et son papa, Serge Trigado. J’avais acheté des photos d’elle avant de la rencontrer. On a mangé, bu ensemble, on est sorti, elle passait tous les jours au studio. Un jour, elle s’est mise à pleurer sur une chanson. Elle regardait les instruments, elle touchait les claviers, elle ne sortait jamais son appareil photo. Elle est venu dans la maison de George Harrison, elle a vu un studio magnifique, avec les vitres, on voyait le paysage derrière et devant, la profondeur de champ, le flou, le net… Un jour, elle me dit « Est-ce qu’on sort un appareil ?». On a sorti un appareil photo à 9h du matin. A 9h du soir on y était encore, avec la vue de Los Angeles derrière. Un jour, je lui ai dit que maintenant qu’on avait travaillé ensemble, on pourrait peut être faire des films. On a fait des films. C’est ça le truc. La photo — mets la chemise rouge, met toi sur le truc – ça ne m’amuse pas du tout. J’ai envie de travailler avec des gens dont je connais un peu l’atelier et qui connaissent le mien. Quand je fais des photos avec Elle Bory, je sais que j’aime la photographe avec laquelle je travaille. Avec Seb et Enzo, c’est la même chose. Ce sont des gens qui viennent en studio, qui écoutent les chansons, qui sont comme des fous et qui chantent. Ce sont des multi artistes, c’est très important de travailler comme ça.
Merci beaucoup Marc.
Merci à vous. Merci.
INTERVIEW REALISEE PAR THIERRY BAUMANN / NeRienLouper.fr